Le Genre à l’œuvre
Je travaille, donc je suis. Perspectives féministes
La Découverte, 2018, Paris, 295p.
Ouvrage collectif sous la direction de Margaret Maruani
Édito
Les 20 et 21 septembre 2011 fut organisé le colloque international intitulé Le genre à l’œuvre réunissant 60 communications orales devant un public de plus de 200 participant-e-s. Il s’agissait de faire se rencontrer trois réseaux internationaux de recherche – le GdRI OPuS 2, le Mage (« Marché du travail et genre ») – CNRS et le Comité de Recherche « Sociologie des arts » de l’AISLF – réunis pour l’occasion autour d’un thème commun. Certes, certains chercheurs, et plus précisément chercheures, participaient déjà des trois réseaux, et notamment au sein du comité d’organisation Marie Buscatto, Mary Léontsini et Hyacinthe Ravet. Mais l’objectif était ici des plus original : mobiliser le genre comme catégorie principale d’analyse et prendre les arts comme objets.
Un appel à contribution fut ainsi diffusé à l’international par ces trois réseaux de recherche, en partenariat avec le CERLIS (Université Paris Descartes, Université Sorbonne Nouvelle, CNRS), l’Observatoire Musical Français (Université Paris Sorbonne), l’IDHE (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne-CNRS), l’Université d’Athènes et les revues Travail, Genre et Sociétés et Sociologie de l’art, et le soutien de la Mairie de Paris.
Mais quels furent plus précisément les grands questionnements qui ont aussi bien structuré l’organisation de ce colloque que la publication des 36 textes issus de cet événement et constituant les trois volumes des actes de ce colloque ici publiés ?
Au cours des quarante dernières années, se sont multipliées les recherches portant sur les modes d’inscription du genre des artistes dans la production et la réception artistiques. De nouveaux outils, théoriques et méthodologiques, ont été conçus afin d’explorer les dimensions sexuées traversant les différents mondes de l’art – littérature, cinéma, arts plastiques, danse, musique, cirque ou arts numériques. Au-delà de la variété des approches, deux « modèles » dominants organisent la réflexion : la construction sociale des sexes, d’une part ; l’approche par la performance, d’autre part. Si le premier analyse en finesse les modes de construction et de légitimation des inégalités sexuées, le deuxième porte une attention renouvelée aux formes que peuvent prendre les transgressions des limites de l’ordre social genré.
Le genre est ainsi devenu une catégorie d’analyse à part entière, au même titre que l’origine sociale, l’âge ou l’origine « ethnique ». Grâce à ses vertus heuristiques, l’analyse en termes de genre renouvelle les regards portés sur la production, la réception ou la médiation artistiques. La « variable » genre s’est par là même transformée en objet d’étude plurivoque. Sa construction peut potentiellement brouiller les frontières entre fiction et réalité, entre vérité et art, entre production et réception, entre hommes et femmes… La production artistique contemporaine élabore des registres genrés qui peuvent tout aussi bien confirmer les différences sexuées que les déstabiliser, voire les subvertir, les nier ou les détourner.
Dans quelle mesure peut-on repérer des registres d’expression artistiques perçus, étiquetés ou définis comme « féminins » ou « masculins » dans la production comme dans la réception artistiques ? Selon quels processus et par quels acteurs – public, critiques, artistes ou intermédiaires – ces repérages genrés sont-ils construits, affirmés, niés, revendiqués, subvertis ? Comment les acteurs interprètent-ils, négocient-ils, brouillent-ils voire déconstruisent-ils ces repérages sexués ? Comment encore sont-ils appropriés par les femmes, les hommes, les trans, les queers… ? Quels en sont les effets sociaux : accès à l’expression, orientations expressives ou réceptives, reconnaissance par le public ou construction des légitimités… ? Comment ces registres sont-ils transgressés par les hommes, par les femmes, par ceux et celles qui refusent les oppositions binaires intransigeantes liées aux « féminités » ou aux « masculinités » ? Que se passe-t-il alors pour les artistes, pour le public, pour les œuvres d’art produites ainsi que pour les carrières de ces artistes ? En quoi une analyse en termes genrés recoupe-t-elle une analyse portant sur les orientations sexuelles, les origines « ethniques » ou les appartenances sociales ? Dans quelle mesure certaines formes artistiques contemporaines sont-elles, ou non, imprégnées, de la thématique du genre, soit en se situant par rapport à une cause, soit en en mettant en lumière les rapports genrés – en révélant par exemple de petits gestes quotidiens, tels le regard dans la rue, le strip-tease, les usages possibles d’objets différenciés, pour n’en mentionner que quelques-uns. Quelle est la place des collectifs d’artistes dans la remise en cause des différences sexuées existantes, mais aussi dans la construction aussi bien de formes subversives que de nouvelles frontières, ou que d’autres repères genrés ?
Ce colloque a accueilli des chercheur-e-s ayant étudié des phénomènes artistiques spécifiques sous l’angle de différentes disciplines (anthropologie, sociologie, histoire, sciences du langage, arts du spectacle, sciences de l’éducation, science politique, études théâtrales, musicologie, études de genre, esthétique, etc.). Il avait pour ambition d’inciter ces chercheur-e-s à explorer les rapports genrés traversant la production, la réception et la médiation artistiques d’une œuvre – un spectacle, un ouvrage, une installation ou un film par exemple. Les trois volumes des actes de ce colloque se sont ainsi naturellement découpés autour de ces trois principales thématiques : Productions, Réceptions, Représentations.
Le comité d’organisation, qui a aussi pris en charge l’édition des actes, était composé de Marie Buscatto (IDHE, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne – CNRS), Anne Forssell (MAGE-CNRS, Cerlis-Université Paris Descartes), Mary Leontsini (Université d’Athènes, AISLF), Margaret Maruani (MAGE-CNRS, Cerlis-Université Paris Descartes), Bruno Péquignot (OPuS 2, CERLIS, Université Sorbonne Nouvelle), Hyacinthe Ravet (Observatoire Musical Français, Université Paris Sorbonne). Il était accompagné par un comité scientifique international de 18 membres dont 7 étrangers (13 femmes et 5 hommes).
Plutôt que de surcharger la couverture des trois ouvrages qui en sont issus, le collectif a choisi de signer d’un nom collectif, double clin d’œil aux genres et aux arts : Mélodie Jan-Ré, soulignant ainsi sa conviction que la recherche est toujours le résultat d’une action collective.
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